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14/05/2014

Le poème de la semaine

Guillaume Apollinaire

Me voici devant tous un homme plein de sens 
Connaissant la vie et de la mort ce qu’un vivant peut connaître 
Ayant éprouvé les douleurs et les joies de l’amour 
Ayant su quelquefois imposer ses idées 
Connaissant plusieurs langages 
Ayant pas mal voyagé 
Ayant vu la guerre dans l’Artillerie et l’Infanterie 
Blessé à la tête trépané sous le chloroforme 
Ayant perdu ses meilleurs amis dans l’effroyable lutte 
Je sais d’ancien et de nouveau autant qu’un homme seul pourrait des deux savoir 
Et sans m’inquiéter aujourd’hui de cette guerre 
Entre nous et pour nous mes amis 
Je juge cette longue querelle de la tradition et de l’invention
De l’Ordre et de l’Aventure 
  
Vous dont la bouche est faite à l’image de celle de Dieu 
Bouche qui est l’ordre même 
Soyez indulgents quand vous nous comparez 
À ceux qui furent la perfection de l’ordre 
Nous qui quêtons partout l’aventure 
Nous ne sommes pas vos ennemis 
Nous voulons vous donner de vastes et d’étranges domaines 
Où le mystère en fleurs s’offre à qui veut le cueillir 
Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues 
Mille phantasmes impondérables 
Auxquels il faut donner de la réalité 
  
Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait 
Il y a aussi le temps qu’on peut chasser ou faire revenir 
Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières 
De l’illimité et de l’avenir 
Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés 
  
Voici que vient l’été la saison violente 
Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps 
Ô Soleil c’est le temps de la Raison ardente
Et j’attends 
Pour la suivre toujours la forme noble et douce 
Qu’elle prend afin que je l’aime seulement 
Elle vient et m’attire ainsi qu’un fer l’aimant
Elle a l’aspect charmant
D’une adorable rousse 
  
Ses cheveux sont d’or on dirait 
Un bel éclair qui durerait 
Ou ces flammes qui se pavanent 
Dans les roses-thé qui se fanent 
  
Mais riez riez de moi 
Hommes de partout surtout gens d’ici 
Car il y a tant de choses que je n’ose vous dire 
Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire 
Ayez pitié de moi 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

03:40 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

07/05/2014

Le poème de la semaine

Jules Supervielle

C’est beau d’avoir élu 
Domicile vivant 
Et de loger le temps 
Dans un coeur continu, 
Et d’avoir vu ses mains 
Se poser sur le monde 
Comme sur une pomme 
Dans un petit jardin, 
D’avoir aimé la terre, 
La lune et le soleil, 
Comme des familiers 
Qui n’ont pas leurs pareils, 
Et d’avoir confié 
Le monde à sa mémoire 
Comme un clair cavalier 
A sa monture noire, 
D’avoir donné visage 
A ces mots: femme, enfants, 
Et servi de rivage 
A d’errants continents, 
Et d’avoir atteint l’âme 
A petits coups de rame 
Pour ne l’effaroucher 
D’une brusque approchée. 
C’est beau d’avoir connu 
L’ombre sous le feuillage 
Et d’avoir senti l’âge 
Ramper sur le corps nu, 
Accompagné la peine 
Du sang noir dans nos veines 
Et doré son silence 
De l’étoile Patience, 
Et d’avoir tous ces mots 
Qui bougent dans la tête, 
De choisir les moins beaux 
Pour leur faire un peu fête, 
D’avoir senti la vie 
Hâtive et mal aimée, 
De l’avoir enfermée 
Dans cette poésie.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

30/04/2014

Le poème de la semaine

Georges-Emmanuel Clancier

Amis le soir au bord des villages.
Voix d'ombre dormeuse
Ou cascade solaire.
C'est toujours avec vous une longue jeunesse
Malgré les deuils, malgré la vie.
Au cœur de vos paroles
Le monde reste clairière,
Saison promise
Au fil du silence.
Mes amis de campagne.
 
C'est toujours juin pour notre souvenir,
Les chemins d'herbe et de jacinthes,
Les foins qu'on fane dans l'odeur de la joie,
La rue devient forêt, devient rivière,
Les hommes sur leur poussière
Sont dignes de l'amour,
Mes amis au soir de la longue journée.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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23/04/2014

Le poème de la semaine

Guillevic

Douceur,
Je dis: douceur.
 
Je dis: douceur des mots
Quand tu rentres le soir du travail harassant
Et que des mots t'accueillent
Qui te donnent du temps.
 
Car on tue dans le monde
Et tout massacre nous vieillit.
 
Je dis: douceur,
Pensant aussi
A des feuilles en voie de sortir du bourgeon,
A des cieux, à de l'eau dans les journées d'été,
A des poignées de main.
 
Je dis: douceur, pensant aux heures d'amitié,
A des moments qui disent
Le temps de la douceur venant pour tout de bon,
 
Cet air tout neuf,
Qui pour durer s'installera.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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16/04/2014

Le poème de la semaine

Fernand Gregh

Il pleut, 
Les vitres tintent. 
 
Le vent de Mai fait dans le parc un bruit d’automne. 
Une porte, en battant sans fin, grince une plainte 
Mineure et monotone. 
Il pleut... 
 
On dirait par moments qu’un million d’épingles 
Se heurte aux vitres et les cingle. 
Il pleut, 
Les vitres tintent. 
 
Le ciel cache un à un ses coins légers de bleu 
Sous de rapides nuées grises. 
Il pleut: 
La vie est triste! 
 
— N’importe! 
Souffle le vent, batte la porte, 
Tombe la pluie! 
N’importe! 
 
J’ai dans mes yeux une clarté qui m’éblouit; 
J’ai dans ma vie un grand espace bleu; 
J’ai dans mon cœur un jardin vert ombré de palmes 
Que balancent en plein azur les brises calmes: 
Je songe à elle! 
 
Il pleut... 
 
— La vie est belle! 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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09/04/2014

Le poème de la semaine

Andrée Chedid

Par les jardins de la terre,
Par les fontaines du seul amour,
Par le blé et le liseron,
Par l'élan et le roitelet,
Par ma jeunesse tant promise,
Par l'ami retrouvé,
Par tous les mots que je veux dire,
Par les mortels que j'aimerai:
Que je vive, ah! que je vive
Encore un espace de ce temps,
De ce temps qui nous est compté.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

02/04/2014

Le poème de la semaine

Boris Vian

Je me souviens de vous
Tout au fond d'un jardin secret
Dans le soleil léger de mai
J'étais à vos genoux
Je me souviens de vous
Nous vivions à cent lieues de tout
L'amour nous tenait lieu de tout
Vos yeux guidaient mon rêve fou
Dans le verger plein de parfum
Chantaient de gais oiseaux
Les feuilles frissonnaient
Là-haut
Je me souviens de vous
Les ombres bleues du soir tombaient
Tout contre moi vous vous serriez
La vie allait danser pour nous
 
La ville dort sous la chaleur de juin
Voici l'Église et le marché au pain
Voici la rue, le vieux portail disjoint
Qui cède et s'ouvre sous ma main
 
Je me souviens de vous
Fantôme d'un amour pâli
Amer plaisir des jours jolis
Jeunesse au coeur cassé
Je me souviens de vous
J'étais entré heureux, soudain
Je vous ai vus dans le jardin
Sa joue collée à votre joue
Dans le verger plein d'oiseaux gris
S'est arrêtée ma vie
Et je me suis sauvé
Bien loin
Je me souviens de vous
Amie perdue, ma vie, mon coeur
Voici que se ferment les fleurs
Et voici que je pleure...
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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25/03/2014

Le poème de la semaine

Edmond Jabès

Je suis à la recherche
d’un homme que je ne connais pas,
qui jamais ne fut tant moi-même
que depuis que je le cherche.
A-t-il mes yeux, mes mains
et toutes ces pensées pareilles
aux épaves de ce temps ?
Saison des mille naufrages,
la mer cesse d’être la mer
devenue l’eau glacée des tombes.
Mais, plus loin, qui sait plus loin ?
Une fillette chante à reculons
et règne la nuit sur les arbres,
bergère au milieu des moutons.
Arrachez la soif au grain de sel
qu’aucune boisson ne désaltère.
Avec les pierres, un monde se ronge
d’être, comme moi, de nulle part.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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19/03/2014

Le poème de la semaine

Charles Vildrac

Au long des jours et des ans,
Je chante, je chante.
 
La chanson que je me chante
Elle est triste et gaie:
La vieille peine y sourit
Et la joie y pleure.
 
C’est la joie ivre et navrée
Des rameaux coupés,
Des rameaux en feuilles neuves
Qui ont chu dans l’eau;
 
C’est la danse du flocon
Qui tournoie et tombe,
Remonte, rêve et s’abîme
Au désert de neige;
 
C’est, dans un jardin d’été.
Le rire en pleurs d’un aveugle
Qui titube dans les fleurs;
 
C’est une rumeur de fête
Ou des Jeux d’enfants
Qu’on entend du cimetière.
 
C’est la chanson pour toujours,
Poignante et légère,
Qu’étreint mais n’étrangle pas
L’âpre loi du monde;
 
C’est la détresse éternelle,
C’est la volupté
D’aller comme un pèlerin
Plein de mort et plein d’amour!
 
Plein de mort et plein d’amour,
Je chante, je chante!
 
C’est ma chance et ma richesse
D’avoir dans mon coeur
Toujours brûlant et fidèle
Et prêt à jaillir;
 
Ce blanc rayon qui poudroie
Sur toute souffrance;
Ce cri de miséricorde
Sur chaque bonheur.
 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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12/03/2014

Le poème de la semaine

Anne Perrier

Si j'étais la vallée profonde
Je vous cacherais dans mes fleuves
Si j'étais la mer
Je vous emporterais vers mes abîmes
Si j'étais le torrent
Je me jetterais en vous
Si j'étais le sentier
J'irais me coucher à vos pieds
Si j'étais la vigne et le vin
Je vous enivrerais toute la nuit
Si j'étais le blé mûr
Je vous couvrirais d'or
Si j'étais l'abeille de juin
Je vous butinerais le coeur
Si j'étais le lézard
Vous me trouveriez dans vos murs
Mais que suis-je?
Rien rien
Pour toujours ce visage en larmes
Blotti dans vos mains
 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle